samedi 15 novembre 2008

De la femme et du sacerdoce

Depuis une vingtaine d’années, parallèlement à la montée du mouvement féministe dans les sociétés industrielles d’Europe et d’Amérique, on constate une revendication de plus en plus insistante en faveur du sacerdoce féminin, la seconde n’étant au fond qu’une expression particulière de la première. Jusqu’ici, grâce à Dieu, le Magistère catholique s’est opposé à une telle révolution. On sait qu’il en va autrement dans certaines Eglises protestantes. Nous n’en dirons rien, pour la simple raison qu’il n’y a pas de véritable sacerdoce dans le protestantisme, qu’un pasteur n’est qu’un simple laïc, et que l’existence de « pastoresses » ne pose donc aucun problème théologique spécifique. La grande presse, il est vrai, présente les choses différemment et nous parle volontiers de l’«ordination » épiscopale ou sacerdotale de telle ou telle femme. Cela n’a rien d’étonnant et s’explique suffisamment par l’ignorance proverbiale des journalistes et leur goût du sensationnel. Mais il importe d’examiner la question pour ce qui regarde le sacerdoce catholique.

I. – Que la femme, dans son amour, est au fondement de la société

Il est important, en effet, dans une conception de l’organisation politique, de tenir compte de cette «matière première » de la société qu’est la relation du masculin et du féminin, laquelle se réalise principalement dans la cellule familiale ou société domestique. C’est elle, et non l’homme individuel, qui constitue le matériau qu’ordonne et informe la socialité parce que la relation sexuelle implique déjà une première socialité virtuelle que la socialité politique viendra ensuite actualiser, tandis que l’homme individuel, sujet de droit, échappe, dans ce qu’il a de plus élevé, à l’ordre politique, ou n’intervient comme constituant que des «sociétés » dérivées et hautement élaborées (1). Or la révolution féministe met en cause cette relation sexuelle de la manière la plus radicale. Si d’ailleurs cette relation se réduisait à l’acte charnel, le bouleversement qu’introduit le féminisme n’aurait guère d’importance. Mais la relation sexuelle du masculin et du féminin est celle de deux fonctions cosmiques synthétiques selon lesquelles se développent et s’ordonnent tous les aspects naturels de la vie humaine dans son intégralité. Etre humain, c’est être homme ou femme, fils ou fille, épouse ou époux, père ou mère. Ce qui signifie, par exemple, que nul ne peut exister et vivre en être humain, s’il n’a la possibilité d’avoir un père et une mère, fonctions qui dépassent de très loin leurs définitions purement biologiques. Qu’on songe aux milliers de jours durant lesquels se sont tissés les liens qui, non seulement unissent des sujets individuels, mais plus encore les modèlent et les constituent eux-mêmes au plus intime de leur être. Qu’on songe à cette somme incalculable de paroles, de gestes, de sentiments, de conflits aussi, de joies et de souffrances, de révoltes et d’enthousiasme, par lesquels un enfant a grandi, appris toute chose, le monde, lui-même, les autres, la société, la vie et la mort, le bonheur, par lesquels il a tout découvert, tout identifié, tout situé, et l’on comprendra que là est le sol profond sur lequel repose l’immense édifice de la société humaine. C’est tout cela la réalité de la vie sociale.

Mais il faut être encore plus précis, au risque aujourd’hui de provoquer la colère ou la dérision. Dans cette relation sexuelle au fondement de la société, les pôles de la relation ne sont pas interchangeables, ni ne se situent au même niveau de profondeur. Par définition et en vérité, c’est la femme qui est maîtresse de la relation, dans la mesure où l’existence même de la relation dépend de son acceptation ou de son refus. En ce domaine, comme en d’autres, le corps est un guide peu récusable. Il nous montre que l’homme ne peut que donner et la femme que recevoir. Or, dans un tel rapport, le pouvoir décisif est en réalité du côté de la réceptivité, parce que c’est elle qui confère au don sens et existence, c’est grâce à elle qu’il s’achève et devient ce qu’il est. L’homme est condamné à prendre l’initiative, la femme est libre de l’accepter ou non.

Voilà le sol profond sur lesquels repose l’édifice de la société ; voilà ce qu’il faut de chair naturelle à la culture pour informer le corps politique ; voilà ce dont les femmes ont l’évidente possession. Non que l’homme n’y ait sa part et sa fonction, puisqu’il y a complémentarité des sexes ; mais, dans cette complémentarité, le rôle de l’homme est de proposition, celui de la femme d’acceptation : c’est donc elle qui en est maîtresse en dernière analyse. C’est précisément contre cette acceptation que le féminisme se dresse : la relation sexuelle est par lui refusée là-même où elle se manifeste, au niveau du tissus social se constituant.

On conçoit l’extrême gravité de cette révolte. La virginité consacrée de la femme ou le choix du célibat en vue d’une tâche particulière, ne font courir aucun risque à la société, parce qu’ils correspondent, non à un refus, mais à un renoncement. Tandis que le féminisme conteste la relation sexuelle au niveau même où en elle et par elle la société réalise sa propre fondation. En vérité, cette révolte se définit comme un refus d’amour, le refus de cet amour foncier, vital, immémorial, sur lequel repose, en fin de compte l’ «édifice immense » des sociétés et des civilisations. De même toutes choses égales par ailleurs, que l’œuvre rédemptrice du Verbe qui transcende pourtant l’indéfinité des temps et des mondes, eût été impossible sans le fiat prononcé un matin d ‘avril dans le secret d’un village galiléen par une jeune fille d’Israël, de même l’histoire humaine eût été impossible sans l’infatigable et universel amour de toutes les femmes de la terre, à chaque heure de la vie des peuples. Amour ignoré, silencieux, presque inconscient, et qui semble aller de soi, comme l’air que l’on respire, ou le sol qui nous porte ; amour inconnu non seulement de ceux qui en vivent, mais de celles qui le donnent, sans le savoir, sans y penser, comme l’eau coule, comme le feu réchauffe, comme le pain nourrit et fortifie, mystère paisible et continu, vigilance miraculeuse et toujours renouvelée.

Sans doute une telle révolte n’a-t-elle encore que des effets limités (2). C’est du reste le sort de tout ce qui va contre l’ordre naturel des choses, donc de toutes les révolutions. La réalité sociale a ses lois immanentes : elle cesse d’être ou on les observe. Néanmoins le coût de cette observance peut être de plus en plus lourd et le fonctionnement général de la société de moins en moins avantageux pour ses membres. D’autre part, et quoi qu’il en soit par ailleurs, le simple fait que le féminisme ait acquis une place aussi considérable parmi les thèmes idéologiques de notre temps, prouve que le bon sens de l’espèce humaine est gravement corrompu. C’est pourquoi, d’ailleurs, le maintien, de la part du magistère catholique, de l’interdiction du sacerdoce féminin, représente une sorte de « miracle ». Il est vrai, comme nous allons le voir, que cette interdiction s’appuie sur une longue tradition. Mais la tradition seule est-elle encore un appui lorsque l’immense majorité des hommes n’en comprend plus du tout la raison ? Et plus encore, lorsque cette raison est elle-même contestée ? « Oui, diront les partisans du sacerdoce féminin, nous reconnaissons que si l’Eglise n’ordonne pas de femmes, c’est que le Christ, au Jeudi-Saint, n’a conféré le sacerdoce qu’à des hommes, la Sainte-Vierge elle-même n’étant point mentionnée par les synoptiques. C’est ce qu’atteste l’usage constant de l’Eglise. Cependant, en écartant la femme du sacerdoce, le Christ n’a fait que se conformer à la mentalité de son époque et aux exigences de la culture juive, laquelle confinait la femme dans les tâches domestiques. Aujourd’hui, il n’en va plus de même. L’évolution des mœurs, le progrès des idées, le combat des femmes pour leur libération, ont rendu caduques ces manières de voir, et plus rien ne s’oppose à ce que les femmes soient enfin membres de l’Eglise à part entière. Deux mille ans d’ostracisme, cela suffit. »

II. – Que l’action divine exclut tout arbitraire

Arrêtons-là ce discours, la teneur en est connue. Observons plutôt qu’il repose sur une pétition de principe : le Christ se serait conformé à un simple usage dénué de fondement. Il suffit de l’énoncer pour en faire saillir l’invraisemblance. Car cela signifierait au moins que le Verbe incarné peut agir par pur conformisme, donc sans raison suffisante, Lui qui est la Raison suprême, fondatrice et créatrice de toutes choses. Pourtant, insistera-t-on, il y a bien des domaines où le Christ s’est conformé aux usages d’une culture déterminée : ainsi Il parlait araméen, mais il ne viendrait à l’idée de personne d’imposer cette langue à tous les chrétiens. Objection sans portée. Il faut d’abord renverser les termes du rapport : le Christ est infiniment plus que toutes les formes qu’Il a revêtues dans son Incarnation. Assurément Jésus n’est pas plus Dieu qu’Il n’est homme, puisqu’Il est vrai Dieu et vrai homme ; mais c’est Dieu qui est infiniment plus que l’homme. Par définition Dieu ne peut se « conformer » à un usage pour la seule raison qu’il serait en vigueur. En adoptant telle langage, tel vêtement, telle nourriture, telle activité, le Christ leur confère une valeur sacrée, ou encore – et cela revient au même – nous en garantit le bien-fondé et authentifie leur caractère normatif (3). Sinon, il faudrait admettre que les actions divines peuvent être sans raison suffisante, ce qui est une impossibilité métaphysique. Et quand nous parlons d'une raison suffisante, cela concerne non seulement la fin que vise l’action (ce qui est évident), mais aussi les formes sensibles quelle revêt pour sa réalisation. Certes, il ne saurait y avoir à cet égard de dépendance déterministe du type : telle fin, tels moyens. Dieu est libre et souverain Maître des moyens qu’Il utilise en vue de rendre présente son action dans le monde. Et il Lui est toujours loisible d’user d’un autre moyen de réalisation et de présentification sensible, en vertu de sa Toute-Puissance, et aussi de la transcendance du contenu divin relativement à sa forme. Néanmoins cette Tout-Puissance et cette transcendance ne sauraient impliquer aucun arbitraire dans l’action divine. Nous pouvons ignorer la raison d’être de telle forme ; dès lors que Dieu l’utilise pour manifester son action redemptrice, nous pouvons être assurés que le choix divin est parfaitement fondé et qu’il atteste, par lui-même, la conformité du moyen à la fin qu’il doit remplir. Dieu sait ce qu’Il fait et fait bien tout ce qu’Il fait. Il n’est pas inutile de répéter ces axiomes alors que beaucoup même parmi les théologiens, ne voient aujourd’hui dans toutes les formes de la geste christique que pure contingence historique : l’eau du baptême, le pain et le vin de l’Eucharistie, la croix du Calvaire, autant d’instruments simplement hasardeux de notre salut, thèse qui est contraire au bon sens, à l’Ecriture et à la tradition patristique et médiévale (4).

Il faut ensuite remarquer que, parmi toutes ces formes, il en est de deux sortes : celles qui relèvent de l’ancienne Loi et de la civilisation juive, celles qui relèvent de la nouvelle Loi et sont des créations entièrement « christiques ». C’est le cas de tous les sacrements, à l’exception du mariage qui existait avant que le Christ ne l’élève à la dignité sacramentelle. Or, s’il est évident que, quant à son humanité, le Christ recevait les premières avec le corps dont elles sont inséparables, puisque étant vrai homme, Il est, comme tout homme, situé dans le temps et l’espace et soumis aux conditions qui les déterminent, il est non moins certain que les secondes, œuvre personnelle d’une nouveauté proprement inouïe, ne relèvent que de son libre amour. Plus que le peintre le plus génial qui choisit ses couleurs et ses pinceaux, Jésus-Christ est le grand et unique artiste de notre rédemption. Son œuvre n’est pas un tableau ou une symphonie ou un poème, mais le salut du monde, et l’on voudrait qu’Il soit inférieur à un Roublev, un Bach, un Dante, et qu’Il ne réalise sa « création » (plus grande que la première) qu’à l’aide de moyens de fortune, fruits du hasard et des circonstances !

La conclusion s’impose. Si, lors de l’institution du Jeudi-Saint, le Christ n’a pas cru bon de conférer à des femmes la fonction sacerdotale, c’est pour des raisons fondamentales, et non seulement pour se conformer aux usages de son temps. Voilà, nous semble-t-il, ce que la droite raison, éclairée par la foi, suffit à établir. Au demeurant, il est paradoxal d’observer que ce sont les mêmes qui d’une part présentent un Christ révolutionnaire, désireux avant tout de scandaliser le conformisme des Pharisiens, en foulant aux pieds règles et usages, et qui, d’autre part, ne voient dans l’exclusion des femmes du sacerdoce que soumission à l’ordre du temps. Il n’est d’ailleurs pas certain que la prêtrise soit toujours et partout réservée aux hommes, et que nous nous trouvions là devant un fait de culture lié à un certain type de société ou à certaines conditions économiques. Platon, nous parle, à maintes reprises, de prêtresses, dont la plus célèbre , Diotime, enseigne à Socrate l’amour de la beauté divine. La seule Antiquité gréco-latine nous fournit de nombreuses attestations de l’existence d’un sacerdoce féminin, sans parler de la religion égyptienne (5). Ainsi, toutes les cultures du Bassin méditerranéen offrent des exemples d’un tel sacerdoce, sauf précisément la tradition judéo-chrétienne. Il nous faut donc assigner à ce fait d’autres causes que celles qui découlent des circonstances.

III. – Que la grâce requiert une convenance déterminée dans la nature

Or, ces causes ne peuvent être que de deux ordres : elles sont relatives soit à la nature de la femme, à la fonction religieuse de l’archétype du féminin dans l’économie du sacré, soit à la nature et à la fonction du sacerdoce chrétien. Ou, plutôt, nous devons combiner les premières avec les secondes, et montrer comment la nature du sacerdoce chrétien exige la nature masculine de son support humain. Il faut remarquer en effet ;

que la conformité d’un élément naturel à son élévation sacramentelle ne peut être établie que sur un argument de convenance et non sur une démonstration rigoureuse ;

2° que se fonder sur les seuls caractères de l’élément naturel (l’essence féminine en l’occurrence) pour rendre compte de son exclusion du sacrement de l’ordre est absolument insuffisant, ces caractères n’étant point tellement déterminés qu’ils puissent certifier l’incompatibilité entre l’une et l’autre – certains caractères féminins pourraient même apparaître fort convenants à une telle fonction ; 3° que c’est donc l’institution par le Christ qui décide de tout , c’est d’elle qu’il faut partir, aucune autre détermination n’est possible. Mais cela ne saurait signifier que la nature de l’élément terrestre est totalement étrangère à sa détermination institutive, comme on le dit trop souvent. Au contraire, cette détermination par le Christ est révélatrice et garante des aspects de la nature qu’elle choisit et actualise, mais qu’elle ne crée pas de toutes pièces.

On le voit, la question du sacerdoce féminin pose le problème général des rapports entre la nature du crée et son usage dans l’ordre de la grâce, en vue de l’action salvifique du Christ ; problème que nous ne faisions qu’effleurer (6). Nous ne croyons pas qu’on puisse lui apporter des solutions très différentes de celles que nous esquissons présentement. Le paradigme en est fourni par le mystère de l’Incarnation (et donc de l’union hypostatique (7)), dans lequel la nature humaine assumée devient l’instrument sacramentel de la grâce rédemptrice, ce qui suppose, dans l’instrument, sinon l’aptitude positive et déterminée, du moins la non-incompatibilité naturelle à remplir la fonction à laquelle la grâce le destine. Car la grâce ne détruit pas la nature, ni la nature-fin (de l’action de grâce), ni la nature-moyen. Et cette non-incompatibilité naturelle n’est pas rien, elle fait partie de l’essence du sujet en qui elle réside, bien que, par lui-même, il soit incapable de connaître et d’actuer cette possibilité, qui d’ailleurs, en l’occurrence découle du théomorphisme adamique. En bref, il faut bien que la nature puisse obéir à la grâce, capacité d’obéissance que les théologiens nomment, pour cela, puissance obédientielle. Or, on obéit à un commandement. C’est lui qui révèle et actue la puissance d’obéissance. Toute la clef des rapports nature-surnature se trouve, pour nous, dans le fait de l’initiative rédemptrice du Christ, et donc dans la réalisation de l’ordre sacramentel. C’est de lui qu’il faut partir et non d’une « métaphysique séparée » de la nature et de la surnature. Cela dit, il faut encore préciser que, si la nature, comme fin de la grâce, est rendue surnaturellement parfaite, et donc atteint à un véritable sur-épanouissement (8), la nature comme moyen de la grâce n’est actuée que selon ce qu’on exige l’économie de la grâce. Ainsi, par exemple, l’eau du baptême est surnaturellement actuée quant à sa capacité purifiante, mais non comme breuvage. Au fond, ce que nous voulons dire est simple : de même que toute culture ne fabrique pas la nature, mais la façonne selon un modèle déterminé, et donc laisse en friche certaines potentialités, de même l’Action rédemptrice du Christ, cette « culture sacrée », n’use que de certaines potentialités de la nature, façonnant ainsi un « cosmos » religieux (qui se réalise éminemment dans l’Eglise), opérant une séparation entre éléments naturels profanes et éléments naturels consacrés. Mais cela ne signifie pas que l’eau ne puisse être un breuvage. Tout au contraire : l’eau lustrale du baptême nous permet de boire à la Fontaine de Vie. La consécration élective de la vertu purifiante de l’eau naturelle est en vue du breuvage d’immortalité. De même la consécration élective de la nature masculine comme instrument du sacerdoce est en vue de la sanctification de la nature humaine universelle. Ainsi la distinction séparative du profane et sacré est un moyen en vue de la sacralisation de tout l’univers.

Il n’y a donc pas de disconvenance radicale entre l’essence féminine et le sacerdoce. Il ne peut y a avoir que des disconvenances relatives à la nature particulière, et même unique, du sacerdoce chrétien. Et, bientôt plutôt, faudrait-il affirmer que ces disconvenances relatives ne sont que la contre-partie d’une convenance majeure pour une autre fonction dans l’économie générale du christianisme. C’est donc la nature du sacerdoce chrétien, voulue par le Christ, qui détermine convenance et disconvenance, étant entendu, encore une fois, qu’elles n’ont rien d’arbitraire, et contribuent au contraire à faire de l’homme et de la femme ce qu’ils doivent être pour Dieu. Ainsi, l’abolition de cette distinction quant à l’aptitude des deux sexes au sacerdoce aurait pour effet, non seulement d’altérer (et peut-être même d’anéantir) l’essence véritable du sacerdoce chrétien, mais encore de bouleverser la relation que la femme chrétienne entretient avec l’économie du salut, et par voie de conséquences, à ruiner définitivement l’ordre de la société chrétienne. Car il n’est pas indifférent, pour cette société même, que la distinction des sexes, qui est à la base de toute organisation sociale, se trouve sanctionnée et consacrée par une institution divine, qui, seule, lui donne son véritable sens. A ne reposer que sur des critères biologiques, c’est-à-dire, en dernière analyse, animaux, c’est l’organisation sociale tout entière qui s’en trouve animalisée. Et chacun sait qu’un homme réduit à son animalité est moins qu’une bête. En voulant effacer tous les signes distinctifs entre les deux sexes, les féministes ne se rendent pas compte qu’ils se condamnent nécessairement à subir la dictature de l’ineffaçable distinction physiologique, laquelle, régnant, ne connaît d’autres limites que celles de sa propre satisfaction et ne peut aller qu’à transformer les femmes en pures femelles pour des mâles réduits à la fonction génésique. Telle est la vérité rigoureusement inscrite dans la révolution du « deuxième sexe ».

IV. – Que la femme est l’image du peuple chrétien tout entier

Il nous faut donc maintenant tenter de préciser ce qui, du côté de l’essence féminine, la prédispose à une fonction non-sacerdotale, et ce qui, dans l’essence masculine, est convenant au sacerdoce chrétien.

Nous partirons d’une remarque élémentaire : l’impossibilité pour la femme de recevoir le sacerdoce ne constitue pas une distinction adéquate des deux sexes ; sinon il faudrait que tout homme soit prêtre. La distinction inadéquate de l’homme et de la femme comme sujets de l’ordination se situe donc à l’intérieur d’une distinction plus générale, qui est celle des prêtres et des laïcs. C’est elle qui régit toutes les autres considérations. De ce point de vue, la femme est, en quelque sorte, un laïc au second degré, c’est-à-dire que son exclusion du sacerdoce l’institue quasi-sacerdotalement, comme image du peuple chrétien tout entier. Etant le non-prêtre par excellence, la femme représente fonctionnellement la raison d’être en vue de laquelle, le sacerdoce a été institué par le Christ. Elle représente l’âme humaine, et donc l’humanité en général qu’Il est venu racheter au prix de son sang. Dans l’ordre naturel et extérieur, c’est l’homme qui représente l’espèce. Mais dans l’ordre spirituel et intérieur, c’est la femme qui figure l’espèce dans sa relation à son destin glorieux.
Méditons, en effet, les paroles d’Adam découvrant enfin un être « semblable à lui », constituant donc son image objective et visible : « celle-ci, cette fois, est l’os de mes os, et la chair de ma chair », c’est-à-dire : elle est mon essence intime enfin manifestée et reconnaissable, ce qu’il y a en moi de plus véritablement humain. Telle est la fonction féminine par excellence : être, au sein de l’humanité, la figure de l’humanité. Adam est pris de la terre, Eve est prise d’Adam ; ce qui signifie, entre autres choses, que le milieu (le monde) dans lequel le l’homme se meut, c’est la créaion extérieure et sensible, tandis que le milieu dans lequel vit la femme, c’est la création humaine, le monde de la nature humaine. Autrement dit, elle constitue ce qu’il y a de déjà humain dans l’ordre de la nature, alors que l’homme représente ce qu’il y a d’encore naturel dans l’ordre humain. Et cela n’est pas sans rapport avec ce que nous disions plus haut concernant le rôle de la femme dans la socialité, puisque la société (ou relation entre socius = semblables) apparaît avec elle. La société humaine est le vrai monde de la femme. Quand Eve ouvrit les yeux pour la première fois, au Paradis, ce qu’elle vit, c’est un homme, Adam, et un monde déjà habité par l’homme (comme espèce) ; au contraire, le premier regard d’Adam porta sur un monde inhabité, radicalement non-humain. Il nous semble qu’il est resté un souvenir de ce premier regard au fond de la conscience que l’être masculin prend du monde, le souvenir d’un monde absolument désert et d’une vision absolument solitaire, par quoi les choses sont posées dans leur rigoureuse objectivité ; tandis que la conscience féminine du monde apparaît plus spontanément sur un fond de participation subjective, le monde étant déjà pour elle subjectivité dans la conscience adamique.

Ainsi peut-on comprendre que l’homme est celui par qui l’ordre objectif des choses introduit sa nécessité et ses contraintes dans le monde humain de la société et de la culture, et la femme celle par qui, au sein même de la société, s’expriment les exigences naturelles de la subjectivité humaine. De ce point de vue, l’homme exerce une fonction d’extériorité, et la femme une fonction d’intériorité, et l’on pourrait dire, en schématisant quelque peu, que si le Dieu de l’homme, c’est le Dieu du macrocosme, le Créateur et l’Ordonnateur de l’univers, le Dieu de la femme, c’est le Dieu du microcosme, le Deus intimior intimo meo de saint Augustin, le Maître intérieur de l’âme – ce qui n’est pas sans rapport avec l’union privilégiée de Marie et du Saint-Esprit. Cela se traduira, sur le plan de la société, par la distinction du « Dieu » de la cité et du « Dieu » du foyer domestique. C’est au nom de la loi non-écrite du « Dieu » de l’homme et de la famille qu’Antigone transgresse la loi de Créon où s’exprime la

volonté du « Dieu » de la cité.

A la femme, ou plus exactement à l’archétype du féminin, est donc réservé, en quelque sorte, le ministère de l’intériorité. Non que le masculin soit exclu de l’intériorité – ce qui équivaudrait à l’exclure de la vie spirituelle --, mais parce que la femme a la charge, selon la détermination de son sexe, de symboliser et de manifester cette intériorité dans tous les aspects de la vie humaine. De la manifester, c’est-à-dire d’en porter le témoignage visible et permanent. Il s’agit en effet ici de la fonction qui découle de la nature, et non d’un privilège ou d’une supériorité. Perdre de vue que l’essence sexuelle implique des devoirs -- quant aux rôles sociaux – impliqués dans la signification intrinsèque de cette essence (et non seulement dans ses effets psycho-biologiques), c’est réduire l’être humain à la seule dimension de ses besoins individuels, c’est pulvériser le corps social en unités rivales, c’est retirer à cet être toute fonction cosmique, c’est l’arracher à l’ordre de la nature et le vouer aux incertitudes d’une subjectivité sans normes.

V. – Que la nature objective du sacerdoce convient à l’essence masculine

Au ministère féminin de l’intériorité répond un ministère masculin de l’extériorité, puisqu’Adam est d’abord tourné vers l’extériorité des choses. Or, comme nous allons le voir, le sacerdoce du Christ présente lui aussi un aspect d’extériorité (ou encore d’objectivité) lié à sa nature instrumentale.

On sait en effet que le mot « christ » signifie « Oint », et traduit l’hébreu Mâchiah (Messie), Celui qui a reçu l’onction, principalement l’onction sacerdotale. Or notre religion se nomme précisément le « christianisme », ce qui signifie étymologiquement la religion de l’onction. Il en résulte que ce qui définit l’essence de cette religion, parmi toutes les autres formes de culte, c’est d’être par excellence la religion du sacerdoce, ou encore la religion liturgique et sacramentaire, la religion de l’onction consécratoire. Au demeurant, eu égard à l’Incarnation on voit bien qu’il ne saurait en être autrement. Le Verbe incarné nous sauve par la vertu rédemptrice de son humanité. Comment cette humanité peut-elle prolonger sa présence salvifique parmi nous ? Par le souvenir de ses paroles et de ses actes ? Assurément ; mais l’efficacité salutaire de ces paroles et de ces actes résulte d’abord de la puissance divine du sujet qui les produit dans le monde par le moyen de son humanité. Et comme l’union hypostatique est nécessairement unique, la grâce qui en découle ne peut être communiquée que sous le mode objectif d’une fonction, d’une consécration, et non comme une propriété du sujet humain : le prêtre est un « autre Christ », ce n’est pas un « autre Jésus ». La grâce qui découle de l’union hypostatique est bien donnée au sujet humain qu’est le prêtre, mais de l’« extérieur », comme une onction dont il est revêtu , et non comme une force émanant des vertus propres de ce sujet. Le caractère sacerdotal qu’imprime l’onction sans l’âme est de la nature du sceau, ou encore du signe et de l’image, dit saint Thomas (Somme de théologie, III, 63, 3 et 4) : « c’est une puissance spirituelle provenant d’un principe extrinsèque », qui marque directement, non le sujet comme tel, mais les puissances du sujet. Le Christ n’a pas le caractère sacramentel ; Il est Lui-même en quelque sorte le caractère qui scelle et consacre l’âme humaine. Il s’ensuit que la sainteté personnelle de celui qui reçoit l’onction est étrangère, ou sans rapport direct à cette onction. Le prêtre porte ce sceau et le pouvoir sacramentel qui est attaché, non comme sa dignité propre, mais comme un trésor infiniment précieux et qui ne lui appartient pas. Son humanité est ici entièrement et a priori sacrifiée. Elle n’a de réalité et de droits qu’autant qu’il est requis pour servir de support à la fonction conférée. Un saint curé d’Ars n’est pas plus prêtre que le curé d’Uruffe : il l’est mieux, mais tout autant. Telle est la pure et stricte vérité, n’en déplaise à tous ceux qui voudraient faire du prêtre un meneur charismatique, un tribun politique ou un animateur social. Telle est la radicale objectivité de l’ordre sacramentel chrétien, ce monde transcendant et toutefois mystérieusement immanent à notre monde humain, cet univers de la grâce répandue et communiquée, par lequel, depuis deux mille ans, le peuple humain est à son tour consacré en vue de son enfantement dans la gloire déifiante.

De même qu’Eve naît d’Adam, et que l’Eglise sacramentelle naît du côté ouvert du Verbe crucifié, de même l’Eglise des baptisés, le Corps mystique, naît sans cesse de l’opus sacerdotale, de l’œuvre de ces hommes consacrés et sanctifiés, qui ont définitivement accepté que soit « endormie » et ensevelie leur propre humanité, avec tous ses désirs et ses exigences, afin que l’âme chrétienne s’éveille au jour de Dieu. Quant à la femme, elle est faite pour « recueillir et rassembler toutes ces choses dans son cœur » et leur faire porter beaucoup de fruits. Elle doit témoigner devant Dieu et devant les hommes que l’espèce humaine n’est pas tout à fait indigne de l’honneur que Dieu lui a fait en revêtant sa nature. Car c’est pour elle qu’Il est venu en ce monde et mort sur une croix ; c’est elle qu’Il aime depuis toujours et dont Il fait son ecclésiale Epouse : oui, en vérité, ce mystère est grand.

VII. – Que Marie exerce, prototypiquement, un ministère spirituel

L’introduction de l’archétype féminin dans la dimension nuptiale de sa fonction spirituelle est accomplie en la personne de Marie. Avec Marie, l’Immaculée Conception, la créature humaine réalise son état de perfection, l’humanité devient enfin ce qu’elle était depuis toujours dans le Pensée divine et s’identifie à son prototype. Marie est, comme femme parfaite, le modèle de l’humanité parfaite, de la créature humaine dans sa pureté d’origine. C’est d’ailleurs elle qui donne au Christ son humanité, puisqu’Il n’a pas de père humain. De ce point de vue Marie est présente dans le Christ, non en tant que femme, mais en tant qu’humanité. Par là, elle participe, selon son mode propre, au sacerdoce de l’unique Prêtre. Comme on l’a dit, Marie, Reine du Ciel et de tous les saints, trônant au-dessus de tous les ordres angéliques et même des plus hauts archanges, ne pouvait cependant pas célébrer la messe. Ayant atteint, par son couronnement, un degré de sainteté qu’aucun prêtre jamais ne pourra dépasser, de telle sorte que c’est bien dans une femme que l’humanité parvient à sa plus glorieuse réussite, elle n’est cependant pas ordonnée à l’accomplissement objectif du rite sacrificiel de la divine liturgie, qui, en tant que tel, relève du ministère masculin. Mais elle y participe par le don qu’elle a fait à Dieu le Christ de sa pure humanité. Elle nous enseigne par là à nous unir au sacrifice du prêtre, en offrant notre propre humanité pour qu’il daigne en faire une hostie sans tache. Au sacrifice liturgique et objectif célébré par le prêtre, répond le sacrifice subjectif et spirituel de la créature. C’est en Marie que ce sacrifice a été accompli en perfection, c’est en elle que tous les êtres humains, hommes ou femmes, l’accomplissent à leur tour et selon leurs moyens, et c’est pourquoi la femme immaculée est réellement co-liturge, car c’est pour la multitude humaine, rassemblée et déléguée en Marie, que le sacrifice unique est sacramentellement renouvelé. Ou encore, c’est seulement dans son cœur « marial » que toute créature humaine peut correspondre véritablement à la finalité du sacrifice eucharistique, savoir, la participation de notre humanité à la gloire divine. C’est ce cœur marial qui est symbolisé à la messe par la goutte d’eau que le prêtre bénit et mélange au vin du sacrifice, en disant : « Dieu qui avez admirablement établi la dignité de la substance humaine, et l’avez réformée d’une manière plus admirable encore, donnez-nous, par le signe mystérieux de cette eau et de ce vin, d’avoir part à la divinité de Celui qui a daigné se faire participant de notre humanité, Jésus-Christ ». On voit ici que le mystère de la participation mariale au sacrifice liturgique est lié à celui de notre déification, participation mariale, car Marie, prototype de l’humanité unie à Dieu (Dominus tecum), est déléguée pour le peuple chrétien tout entier. Que l’eau symbolise également le peuple rassemblé en Eglise, c’est ce qui ressort de la simple considération du Christ en croix dont le côté ouvert a laissé couler un mélange d’eau et de sang, événement dans lequel la Tradition contemple la naissance de l’Eglise, nouvelle Eve, nouvelle Mère des vivants, née du nouvel Adam plongé dans le sommeil de sa mort rédemptrice.

Tel est le mode le plus élevé selon lequel l’archétype du féminin participe au sacerdoce du Christ.

VII. – Que le sacerdoce chrétien est «sans généalogie »

Confirmant et précisant ces indications, il existe outre une donnée scripturaire qui nous semble déterminante en cette question, bien qu’on n’en ait peut-être jamais fait état. Il s’agit de la désignation du sacerdoce christique comme étant secundum ordinem Melchisedech (Heb., VII, 1-28). L’épître s’appuie dur le verset 4 du psaume CX (qui concerne le Messie) : « Le seigneur l’a juré et ne s’en repentira pas : Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisedech ». Sans entrer dans l’étude des innombrables commentaires qu’a suscités cet homme mystérieux (Genèse, XIV, 18-20), nous soulignerons seulement combien saint Paul insiste sur le caractère sacerdotal de ce personnage – c’est d’ailleurs à son endroit que le mot prêtre apparaît pour la première fois dans l’Ecriture – et comment pour le qualifier, il forge un néologisme : il est, dit-il, agénéalogètos, « sans généalogie ». L’apôtre veut montrer que le sacerdoce du Christ est supérieur à celui d’Aaron. En quoi est-ce le cas du sacerdoce melchisedecien ? – en ce qu’il est « généalogie ». Ce qui implique en retour que le sacerdoce aaronien est défini au contraire par la généalogie : c’est un sacerdoce « avec père et mère ». Mais quel rapport y-a-t-il entre le sacerdoce par excellence et l’absence de généalogie humaine ? Le prêtre est essentiellement un médiateur entre Dieu et les hommes, pontifex, celui qui « fait le pont » entre le Ciel et la terre. C’est pourquoi il est d’abord « prêtre du Très-Haut », prêtre d’El-Elyon, ce qui est en effet la désignation de Melchisedech, premier prêtre de la Bible ; et elle n’est pas sans signification quand on connaît l’importance que l’Ecriture attache aux différents Noms divins. El-Elyon, qui marque la transcendance suprême, est d’ailleurs expliqué par Melchisedech lui-même comme « créateur du Ciel et de la terre », ce qui réfère explicitement au « Dieu du macrocosme » dont nous avons parlé plus haut. La fonction sacerdotale apparaît ainsi nettement dans sa nature essentiellement «verticale », c’est-à-dire comme émanant directement de l’Au-delà divin qui communique Lui-même son investiture à son serviteur (9). Or, une fonction ne peut être dite « par excellence », que lorsqu’elle s’identifie à celui qui l’exerce. Le prêtre « par excellence » ne peut être que celui qui n’est rien d’autre que prêtre, celui dont toute la nature est absorbée par la fonction et indiscernable d’elle. A cet égard Melchisedech ne saurait être tel ; il représente seulement « la vraie figure du Fils de Dieu » (Hebr., VII, 3). C’est en effet la qualité de Fils de Dieu qui seule réalise l’identité de la nature et de la fonction sacerdotale, puisque celui dont l’essence est la filiation est par nature une pure émanation de l’Etre divin, de même que la fonction sacerdotale, dans son essence, est une investiture directe du Très-haut, raison pour laquelle saint Paul proclame l’investiture « selon l’ordre de Melchisedech » en invoquant le verset 7 du psaume II : « Tu es mon fils, aujourd’hui je T’ai engendré » (Hebr., V, 5).

Il faut s’élever jusque là si l’on veut prendre une vue un peu exacte du sacerdoce catholique. Ce qui est conféré à l’ordinand, c’est le Christ-Sacerdoce Lui-même, c’est-à-dire une fonction essentiellement transcendante et verticale, toujours « surhumaine », nous voulons dire : non seulement qui dépasse les capacités naturelles de l’homme, mais surtout dont l’existence ne saurait être attachée à une qualification humaine déterminée. Conformément à la conception sacrificielle que nous avons exposée précédemment, nous disons que la nature humaine est ici revêtue de la fonction dont elle n’est que le support terrestre, et qu’elle n’a, pour ainsi dire, d’autre place à tenir que celle de son propre effacement. Il en résulte qu’il ne saurait y avoir dans le christianisme de caste sacerdotale. Telle est la proposition que nous désirions mettre en lumière. Dès lors, en effet, que cette fonction se transmet par la génération – ce qui est le cas de la plupart des religions du monde et du sacerdoce aaronien en particulier – dès lors qu’elle est « généalogique », il faut bien qu’elle soit attachée à des qualités naturelles héréditaires. Il s'agit alors d’une transmission « horizontale », qui exige « père et mère », ce qui n’exclut pas, à l’origine, l’investiture divine (Aaron est choisi par Dieu), mais la rend solidaire d’une certaine forme humaine. Dans un tel cas, si l’homme seul est prêtre, c’est en vertu directement de caractères sexuels positifs. Au contraire, dans le cas du sacerdoce catholique, ce qui habilite l’homme à le recevoir, c’est une certaine neutralité sexuelle à l’égard de la génération et de l’enfantement : la femme est, en effet, plus mère que l’homme n’est père, elle est plus intimement liée à la fécondité générative ; elle incarne, par excellence, la fonction généalogique, c’est-à-dire la permanence d’une continuité naturelle. Et c’est pourquoi la femme-mère est exclue de la participation directe à un sacerdoce qui relève d’une discontinuité surnaturelle.

Conclusion – Que le masculin-et-féminin peut être dépassé

En définitive, nous n’avons fait que développer les conséquences de l’anthropologie biblique. C’est sur elle que nous avons établi la convenance symbolique, l’harmonie profonde que nous constatons entre l’ordre de la nature et l’économie de la grâce. En se conformant à cet ordre, la grâce ne fait que se soumettre à certaines conditions de réalisation, elle sacralise aussi ces conditions, elle leur confère une signification spirituelle, elle les fonde dans leur vérité en les rendant participantes de l’acte rédempteur. L’impossibilité, pour la femme, du sacerdoce chrétien, résulte donc de la reconnaissance du rôle spécifique que le ministère féminin doit y remplir, qui est de maternité et d’intériorité. La révolte féministe (qui n’est pas l’apanage des femmes) ignore tout simplement cette loi : elle voudrait que tout soit n’importe quoi, ce qui équivaut à ne rien vouloir ; mais ne rien vouloir, c’est vouloir le rien, autrement dit : la destruction de tout.

La distinction sacramentelle des sexes n’est pourtant pas le dernier mot de la révélation. Ecoutons saint Paul (1 Co., XI, 7) : « l’homme est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme ». Voilà la vérité propre de la nature créée. « Cependant, ajoute-t-il, ni l’homme sans la femme, ni la femme sans l’homme, dans le Seigneur » (ibid., 11). Ce qui signifie au moins que, en ce qui concerne la participation des sexes à la vie liturgique – dont il est question dans ce passage – on ne peut privilégier l’un et ignorer l’autre : leurs fonctions sont différentes, puisqu’à l’homme revient le sacerdoce hiérarchique, mais inséparables et nécessaires, puisque « dans le seigneur », « l’homme n’est pas sans la femme ». Nous parlerions volontiers ici d’un sacerdoce spirituel ou pneumatique, dont la Vierge Marie, associée au divin Pneuma dans la génération humaine du Verbe, est le prototype. En vérité, le dépassement de la dualité sexuelle, que le féminisme voudrait réaliser au niveau social et ministériel, n’est possible que si l’on dépasse l’ordre de la nature pour accéder à celui de la personne, c’est-à-dire à l’union avec l’hypostase du Christ : « Car vous tous qui avez reçu le baptême du Christ, vous vous êtes revêtus du Christ : (…) il n’y a plus de masculin-et-féminin : tous, vous n’êtes qu’une seule personne dans le Christ Jésus » (Gal., III, 28). Mais c’est là un secret qui ne s’apprend que dans l’humilité et la patience de la prière.

Notes

(1) C’est d’ailleurs l’un des vices majeurs de la philosophie démocratique que de remplacer la famille comme constituant social élémentaire par le citoyen, ce qui est manifestement contraire au bons sens et à la réalité, et, érigeant l’individu solitaire en sujet exclusif du Pouvoir, l’expose inévitablement au totalitarisme.

(2) Dont le plus aigu est l’effroyable banalisation de l’avortement.

(3) On ne peut de là tirer argument contre l’usage liturgique, au contraire : le P. Carmignac a prouvé que le Christ avait usé de l’hébreu pour instituer le Pater, et non l’araméen. Il en fut de même, pensons-nous, lors de l’institution de l’Eucharistie, les bénédictions qui la précédèrent ayant été prononcées en hébreu.

(4) On doit lire, sur cette question, les pages très fermes et très claires du P. Joseph de Sainte-Marie, O.C.D., dans sa somme de théologie liturgique L’Eucharistie, Salut du monde, aux éditions du Cèdre, pp. 323-350.

(5) Cf. E.O. James, Le culte de la Déesse-Mère, Payot, 1960, pp. 72-73

(6) Mais nous en avons traité longuement dans un autre travail à paraître.

(7) Union des deux natures (humaine et divine) dans l’unique hypostase (= personne du Christ : une personne ou hypostase, deux natures. Dans la Trinité, il y a une nature (la Déité) et trois personnes consubstantielles.

(8) Sur-épanouissement parce que la grâce divine donne à l’être humain infiniment plus que ce qu’il est en droit d’attendre en vertu de sa seule nature. Il y a , du point de vue de la simple nature, comme une discontinuité entre son état de perfection originelle et son état de perfection rachetée, ou plutôt, il y a discontinuité de la nature à la surnature, mais continuité de la surnature à la nature : c’est du point de vue de la grâce que la grâce accomplit ou parfait la nature, et non du point de vue de la nature. La grâce est elle-même précisément cette continuité « par en haut » ; la grâce ? c’est-à-dire la vertu rédemptrice de l’Incarnation. Tel est le sens de cette parole mystérieuse : « Nul n’est monté au ciel, hormis Celui qui est descendu du Ciel » (Jean, III, 13). Il en va ici comme dans certains processus de calcul intégral. On peut ajouter indéfiniment des quantités de plus en plus petites sans jamais atteindre la somme limite qui les intègre : par ex. augmenter le nombre des côtés d’un polygone régulier sans qu’il devienne le cercle circonscrit (il y a donc discontinuité). C’est seulement à partir du cercle, limite intégrative des accroissements du nombre de côtés, que la totalité des polygones peut être comprise, et que la continuité peut être rétablie.

(9) L’hébreu kôhên pourrait venir de l’akkadien kânu qui signifie « s’incliner devant » ; le prêtre, c’est le « serviteur prosterné », d’où la grande prosternation au rite de l’ordination.

Texte publié dans le numéro 207 de la Pensée Catholique en décembre 1983

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